Dernier Time To Philo de la saison. On vous souhaite à toutes et tous de bonnes vacances et on se retrouve à la rentrée 

Tout le monde en parle

par Gaspard Koenig

La newsletter Time to Sign Off, maison-mère de Time to Philo, a comme marque de fabrique de titiller ses lecteurs, en fin de message, par des propos sur la sexualité : sondages intimes, extraits de littérature érotique ou courtes vidéos d’un goût variable. Beaucoup s’étonnent qu’une newsletter lue par tout le gratin parisien puisse se permettre de tels écarts, surtout en ces temps de #metoo. « Quel culot ! » murmure-t-on. Vraiment ?

Cet équilibre entre provocations mesurées et indignation jouée est en fait symptomatique du rapport moderne à la sexualité. Dans son Histoire de la sexualité, Foucault s’amuse de nos tartufferies sur le sujet. Nous faisons semblant que le sexe soit réprimé pour mieux nous donner des airs transgressifs. « Si le sexe est réprimé, c’est-à-dire voué à la prohibition, à l’inexistence et au mutisme, le seul fait d’en parler, et de parler de sa répression, a comme une allure de transgression délibérée ». Allusions et plaisanteries sont omniprésentes dans les publicités, les conversations mondaines, les discours politiques. Si le sexe est un secret, c’est le plus mal gardé du monde. Voilà une drôle de société qui « depuis plus d’un siècle se fustige bruyamment de son hypocrisie, parle avec prolixité de son propre silence »

Or ce fantasme de la répression masque la réalité du pouvoir moderne. En parlant sans cesse du sexe, on contrôle les corps. « Ce pouvoir n’a ni la forme de la loi ni les effets de l’interdit, explique Foucault. Il procède au contraire par démultiplication des sexualités singulières. » Toutes les formes de sexualités, toutes les variantes du désir sont permises et encouragées, à partir du moment où elles sont dites, exposées, régulées. Plus nous croyons nous « libérer », plus en vérité nous nous conformons à des normes édictées par un biopouvoir diffus mais directif. Ainsi « les mécanismes de pouvoir ont été plus employés à susciter et à irriter la sexualité qu’à la réprimer ».

Face à ces dispositifs pervers de domination, Foucault propose une contre-attaque : « le corps et les plaisirs ». Il reste évasif sur ce noble projet. Je suggère de lui donner la figure d’un autre philosophe : Lucrèce. Important la doctrine épicurienne dans la Rome impériale, le long poème philosophe de Lucrèce, De natura rerum, contient une apologie non normative de la sexualité. Lisez plutôt ces vers du livre IV :

« Ainsi de l’homme atteint par les traits de Vénus
Que lui lance le garçon aux membres féminins
Ou la femme dont tout le corps darde l’amour :
Il tend vers qui le frappe et brûle de l’étreindre,
De jeter la liqueur de son corps dans le sien,
Car son désir muet lui prédit le plaisir ».

Lucrèce ne soumet la sexualité à aucune figure imposée, ni hétéro ni homosexuelle. Il en fait un simple jaillissement organique, indifférent à l’ordre social. Il nous met d’ailleurs en garde contre l’amour monogame, en nous conseillant « de jeter en toute autre personne le liquide amassé ». Pendant l’été, faudrait-il lire les classiques de l’Antiquité pour être vraiment choqués ? 


Gaspard Koenig 

Michel Foucault (1926 - 1984)

Philosophe français. Son travail porta essentiellement sur les rapports entre pouvoir et savoir, s'inscrivant comme une critique des normes sociales et des mécanismes de pouvoir qui s'exercent au travers d'institutions en apparence neutres (la médecine, la justice, les rapports familiaux ou sexuels…). En savoir plus.
Lucrèce (probablement 94 av. J.-C. - 54 av. J.-C.)

Poète et philosophe latin. Il est l'auteur d'un seul ouvrage en 6 parties, le De rerum natura, un long poème qui décrit le monde selon les principes d'Epicure. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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