Madame Aristote ne porte pas la culotte 

L’affaire Weinstein n’en finit pas de faire des vagues, de s’internationaliser, nous rappelant que la relation entre les hommes et les femmes est loin d’être apaisée. On observe une libération sans précédent de la parole féminine pour dénoncer la perception encore prégnante de la femme comme objet de convoitise plutôt que sujet de dignité. Toutes ces affaires ont des racines profondes.  Nos textes fondateurs, depuis l’enlèvement des Sabines, théorisent cette domination d’un sexe sur l’autre. Mais que disent les philosophes à ce sujet ?

Les penseurs grecs ont joué un rôle déterminant dans l’idée de l’imperfection féminine. Aristote est passé maître dans l’exercice. Il part du principe de la fécondation pour constater l’inégalité biologique entre l’homme et la femme. Le principe mâle (la semence) est considéré comme supérieur au principe femelle parce qu’il est « cause formelle », c’est-à-dire principe de mouvement. La femme n’est que réceptacle : « Si on admet que le mâle est un principe et une cause, que le mâle est caractérisé par une certaine puissance, la femelle l’est par l’absence de cette puissance. » Et Aristote de conclure que la production d’une femelle n’est qu’une défaillance de la nature (De la génération des animaux). Les implications de cette erreur scientifique sont nombreuses, notamment en politique.

A la différence de nombreuses sociétés dites « primitives », la démocratie grecque s’est construite sans les femmes. Hors de question de les sortir de leur gynécée pour leur donner des droits politiques. Dans La République de Platon (livre V), il y a bien un sursaut dans la revendication d’une égalité entre les deux sexes : une cité juste doit assigner les mêmes tâches aux hommes et aux femmes, en fonction de leurs aptitudes. Toutefois, cette idée subversive est très vite réajustée : en droit la femme est « appelée à toutes les fonctions ; seulement, la femme est, en toutes, inférieure à l’homme ». Nous voilà fixés !

Il faudra attendre les Lumières pour que la question de l’égalité des droits entre les sexes vienne sur le devant de la scène. La prétendue infériorité de nature de la femme est remise en cause. C’est la culture, l’éducation, les préjugés qui sont désormais montrés du doigt comme instruments d’exclusion. Montesquieu, dans ses Lettres persanes (38), énonce quelques idées fortes qui gardent toute leur modernité. « L’empire que nous avons sur les femmes est une véritable tyrannie ». Il déplore l’usage que les hommes font de leur force physique, qui leur donne un pouvoir usurpé. Et reconnaît que « les forces seraient égales si l’éducation l’était aussi ». Montesquieu va donc promouvoir l’accès des femmes au pouvoir politique, et sera relayé par Condorcet (Sur l’admission des femmes au droit de Cité, 1790) malgré quelques voix encore discordantes (Rousseau, Diderot). Le combat vers l’émancipation est en marche…

Socrate à qui on demandait pourquoi il avait épousé Xantippe, une femme réputée farouche et fougueuse, avait coutume de répondre : « C’est cette femme que j’ai prise, certain que, si je pouvais la supporter, je m’entendrais facilement avec tout le monde ». Xantippe avait peut-être un fichu caractère mais gardons-nous d'entendre dans le jugement de son mari une vérité éternelle justifiant qu'on prive la femme d'être pleinement un sujet de droit et d'histoire. 



Karine Safa

Aristote (384 av. J.-C. - 322 av. J.-C.)

Philosophe grec et disciple de Platon, il est l'un des rares penseurs à avoir abordé pratiquement tous les domaines de connaissance de son temps : biologie, physique, métaphysique, logique, poétique, politique, rhétorique, économie... Chez Aristote, la philosophie regroupe à la fois recherche du savoir pour lui-même, interrogation sur le monde et science des sciences. En savoir plus.
Montesquieu (1689 - 1755)

Penseur politique, précurseur de la sociologie, philosophe et écrivain français des Lumières. Il est, avec John Locke, l'un des penseurs de l'organisation politique et sociale sur laquelle les sociétés modernes et politiquement libérales s'appuient. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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