Spinoza contre le harcèlement sexuel

Les affaires de harcèlement sexuel se suivent et se ressemblent. Denis Baupin, ex Vice-Président EELV de l’Assemblée Nationale, fait aujourd’hui l’actualité. Indépendamment de la réalité des faits, que la justice déterminera comme il se doit, il nous semblait donc opportun de poser la question : comment résister au désir ? Quelques conseils de philosophes à DSK, Baupin et autres intempérants.

La manière la plus évidente de résister au désir, c’est de le détruire. Les stoïciens ont montré la voie dès l’Antiquité. « Effacer ce qui est imagination ; réprimer l’impulsion ; éteindre le désir ; rester maître de sa faculté directive » écrit sous forme d’aphorisme Marc-Aurèle, l’empereur disciple d’Epictète, dans ses Pensées pour moi-même (IX, 7). Devant l’infinité des objets de désir, il serait illusoire de vouloir dominer le monde : mieux vaut triompher de soi-même. Doctrine que Marc-Aurèle applique sans état d’âme au sexe : « Cet homme demande : Puissé-je dormir avec cette femme ! Toi, dis plutôt : Puissé-je ne pas désirer de dormir avec cette femme ! »

En ce sens, l’objectif avoué du philosophe stoïcien est l’ataraxie, l’absence totale de troubles, quand l’âme parvient à se détacher des passions du corps. Solution un peu extrême, et réservée à quelques sages. Michel Foucault, analysant le stoïcisme dans son Histoire de la sexualité (volume 3), en a proposé une interprétation plus douce : le « souci de soi ». Ce que l’abstinence (relative) et l’austérité (mesurée) nous permettent d’atteindre, c’est une forme de rapport à soi plus complet. Résister au désir, c’est apprendre à se connaître soi-même. L’individu maître de soi peut ainsi se constituer en sujet moral. Avis à nos politiques !

Il reste néanmoins fort présomptueux, et un peu irréaliste, d’imaginer vaincre le désir par la seule puissance de l’intellect. Après tout, l’homme n’est-il pas soumis au jeu des passions naturelles ? N’est-ce pas là une manière légitime d’exprimer son être, sa force vitale ?

C’est sur la base de ce constat que Spinoza, au livre IV de l’Ethique, a entrepris de réinterpréter les affects en balayant la naïve distinction classique entre une âme rationnelle et un corps en proie aux tentations. Le désir, juge-t-il, n’est que la manière dont nous persévérons dans notre être (conatus). Ainsi donc, « un affect ne peut être contrarié ni supprimé que par un affect contraire et plus fort que l’affect à contrarier » (proposition 7). Il ne s’agit donc pas d’éliminer l’affect, mais de le prendre à son propre jeu en lui opposant un affect plus puissant. Autrement dit : de transformer une passion triste en une passion joyeuse. La chair doit triompher de la chair.

Que faut-il alors opposer à la « lubricité », que Spinoza mentionne spécifiquement ? La générosité et la fermeté (III, 59). C’est en inversant la polarité des désirs que l’on devient plus fort.

Plutôt que la morale stoïcienne de la flagellation, faut-il bâtir une éthique du désir ? Voilà un beau sujet de table-ronde pour la prochaine Université d’été des Verts.

Marc Aurèle (121 - 180)

Empereur romain et philosophe stoïcien qui dirigea l'Empire romain à son apogée. Dans son unique ouvrage, Pensées pour moi-même, il développe en 12 Livres sa vision du stoïcisme à travers plusieurs thèmes (Toutes les choses participent d'un Tout, Tout ce qui arrive est nécessaire et utile au monde universel, Il faut tendre vers ce qui est utile et bien approprié à la communauté, etc.) En savoir plus.
Baruch Spinoza (1632 - 1677)

Philosophe néerlandais dont la pensée eut une influence considérable sur ses contemporains et nombre de penseurs postérieurs. Son œuvre entretient une relation critique avec les positions traditionnelles des religions et vise essentiellement la constitution d'une éthique rationnelle et intellectualiste qu'il décrit comme la « voie qui mène à la liberté ». En savoir plus.
Michel Foucault (1926 - 1984)

Philosophe français. Son travail porta essentiellement sur les rapports entre pouvoir et savoir, s'inscrivant comme une critique des normes sociales et des mécanismes de pouvoir qui s'exercent au travers d'institutions en apparence neutres (la médecine, la justice, les rapports familiaux ou sexuels…) En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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