Kant impliqué dans les Panama Papers ?

Le scandale des Panama Papers touche hommes politiques, joueurs de foot, chanteurs et particuliers fortunés à travers le monde entier. Même si les mobiles sont divers et les procédés pas toujours illégaux, les plus bienveillants d’entre nous seraient tentés de constater avec découragement : « tous pourris ». La corruption est-elle inscrite dans la nature humaine ?
 
C’était en tout cas le point de départ du philosophe et médecin Bernard Mandeville, dans sa célèbre Fable des abeilles. Imaginez une ruche prospère, semblable à l’Angleterre du 18e siècle, où les abeilles trafiquent et truandent à tout va. Les avocats sont compromis, les soldats vénaux, les fonctionnaires achetés. Les honnêtes gens crient au scandale. Jupiter, lassé de leur arrogance, inscrit alors la vertu dans le cœur des abeilles. Les avocats se retrouvent au chômage (faute de procès), les banques ferment (à quoi bon emprunter quand on peut vivre de ses économies ?), les modes fanent (mieux vaut rapiécer ses vieux vêtements). Peu à peu, la société dépérit, et la ruche se retrouve pauvre et isolée, à l’abri d’un vieux tronc d’arbre. Et donc, « ceux qui veulent revoir un âge d'or doivent être aussi disposés à se nourrir de glands, qu'à vivre honnêtes »
 
Mandeville n’est pas seulement un pamphlétaire. Il compléta sa fable par trois cents pages de philosophie morale, destinée à exposer les faiblesses des hommes, et à en tirer des leçons de politique publique ; car « par une action habile, le bon politique peut transformer les vices privés en bien public ». Il ne s’agit donc ni  de tolérer ni d’éradiquer la corruption, mais de l’orienter au mieux pour le profit de tous. Si « tout homme a un prix » (every man has a price), comme le déclarait le Premier ministre de l’époque Robert Walpole, alors le gouvernement est comme le régulateur de ce vaste marché de dons et contre-dons qui font la complexité de l’humanité.

Argument bien sûr irrecevable pour l’austère Emmanuel Kant. Dans les premières lignes de son opuscule La religion dans les limites de la simple raison, le penseur de Königsberg cite la phrase de Walpole pour la réfuter. « Si cela est vrai, écrit-il, il se pourrait que ces paroles de l'apôtre soient vraies de l'homme de manière générale : il n'est ici aucune différence, tous sont pécheurs également » ; le bien et le mal se confondent. La corruption revient à nier la possibilité même de la morale en tant que règle universelle, traitant l’individu rationnel comme une fin en soi. Fixer un prix à un homme, c'est le considérer avant tout comme un moyen, une entité échangeable n'ayant pas de valeur propre ; et acheter quelqu'un, c'est par définition faire ce qu'on ne voudrait pas que les autres nous fassent. Pour préserver la morale, il faut donc anéantir la corruption.
 
Selon que vous vous sentez plus proches de la fable des abeilles ou de la métaphysique kantienne, vous pourrez considérer que le G20 doit réguler les paradis fiscaux, ou en interdire définitivement l’accès…

Bernard Mandeville (1670 - 1733)

Ecrivain et philosophe néerlandais, initialement docteur en médecine. Installé très tôt en Angleterre, il est parfois considéré comme l'un des précurseurs du libéralisme économique et est essentiellement connu pour sa Fable des Abeilles (1705), sur l'utilité sociale de l'égoïsme, qui choqua l'opinion et lui valut d'être menacé de procès. En savoir plus.
Emmanuel Kant (1724 - 1804)

Philosophe allemand, il a exercé une influence majeure sur l'idéalisme allemand, la philosophie analytique, la phénoménologie ou la philosophie postmoderne. Il est considéré comme le fondateur du criticisme, à travers notamment ses trois CritiquesCritique de la raison pureCritique de la raison pratique et Critique de la faculté de juger. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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