Le Brexit ou la question de la souveraineté

Le débat en cours sur le Brexit oppose les partisans d’une souveraineté retrouvée au premier ministre David Cameron qui considère celle-ci comme « illusoire ». Mais de quoi parlent-ils ?
 
C’est le juriste Jean Bodin qui, au 16e siècle, définit le premier le concept de « puissance souveraine », dans un ouvrage bien connu de la philosophie politique : Les six livres de la République. Pour la première fois, l’idée de souveraineté est distinguée de la personne sacrée du souverain, pour s’attacher à l’Etat lui-même - la « République », terme qui à l’époque pouvait désigner des monarchies aussi bien que des démocraties. Le gouvernant n’est plus que le dépositaire de la souveraineté, qui unifie la multitude des citoyens tout en s’émancipant de toute transcendance religieuse ou morale.
 
« Nous conclurons que la première marque du prince souverain, c'est la puissance de donner loi à tous en général, et à chacun en particulier ». Bodin pose ainsi les prémisses d’un Etat de droit, dont la souveraineté est « absolue et perpétuelle » : absolue parce qu’aucune loi ne lui est supérieure, perpétuelle parce qu’elle subsiste indépendamment de ceux qui l’exercent. On comprend donc que les Britanniques refusent de la partager avec leurs voisins européens…

Mais l’histoire avance, avec ses conflits sans cesse répétés. Pourquoi alors ne pas imaginer une « souveraineté des souverainetés », un droit supérieur qui unifie les nations comme les nations unifièrent les individus ? C’est la proposition de Kant dans son Idée d’une histoire universelle, qui formule le projet, voué à un long et difficile avenir, d’une société des nations, « dans laquelle chaque État, même le plus petit, pourra attendre sa sécurité et ses droits non de sa force propre ou de son appréciation juridique personnelle, mais seulement de cette grande société des nations (Foedus Amphictyonum), de l'union des forces en une seule force et de la décision, soumise à des lois, de l'union des volontés en une seule volonté. » Dans le monde du droit international, on comprend que la souveraineté devienne une « illusion » pour reprendre l’expression de David Cameron, dont le pays est déjà membre de nombreuses organisations intergouvernementales.
 
On aurait toutefois pu penser qu’au 21e siècle, la notion était destinée à évoluer. Dans son ouvrage majeur Empire, le très controversé philosophe Toni Negri estime que notre postmodernité tend à effacer la notion d’Etat souverain au profit d’un Empire mondial – Empire sans Empereur, diffus, irrésistible, auquel s’attache une souveraineté impériale, globale, qui entretient au sein d’elle-même une infinité de conflits et de crises.
 
Le Brexit, ultime sursaut de débats surannés, inadaptés aux réalités de cet Empire devenu le terrain de jeu des GAFA comme des terroristes ?

Jean Bodin (1529 – 1596)

Economiste, philosophe et théoricien politique français. Considéré comme le père fondateur de la théorie de la souveraineté moderne, il influença l’histoire intellectuelle de l’Europe par ses théories économiques et ses principes du « bon gouvernement ». En savoir plus.
Emmanuel Kant (1724 - 1804)

Philosophe allemand, fondateur du criticisme. Son œuvre exerce une influence considérable sur la philosophie analytique, la philosophie postmoderne et la pensée critique en général (notamment à travers ses trois CritiquesCritique de la raison pureCritique de la raison pratique et Critique de la faculté de juger). En savoir plus.
Toni Negri (né en 1933)

Philosophe et homme politique italien. Il est l'un des principaux théoriciens de l'opéraïsme (courant marxiste italien « ouvriériste » prônant le refus du travail, moteur du capitalisme). Dans les années 80, ses liens présumés avec les Brigades Rouges l’obligent à s’exiler en France. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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