Révolution génétique : l'homme est-il un caméléon ?

La découverte scientifique de l’année 2015, si l’on en croit la revue Science, c’est la technologie CRISPR/Cas9, révolution du génie génétique qui vient d’ailleurs de valoir à sa conceptrice, la chercheuse française Emmanuelle Charpentier, le prestigieux Prix Leibniz (avant, peut-être, le Nobel ?). CRISPR permet tout simplement de modifier les gènes d’un organisme vivant. On pourrait donc en finir bientôt avec les maladies génétiques. Avant de redéfinir l’humanité ? Si chacun peut modifier ses gènes et ceux de sa descendance, quelle est la limite à la transformation de notre espèce ?
 
Cette question agite depuis une quinzaine d’années les observateurs des innovations biotechnologiques, qui vont en s’accélérant. La figure de proue des « bioconservateurs » est le philosophe américain Francis Fukuyama, celui-là même qui avait théorisé la « fin de l’histoire » après la chute du mur de Berlin (c’est-à-dire le triomphe universel de la démocratie et l’économie de marché). Dans Notre avenir posthumain, Fukuyama affirme clairement la nécessité de préserver la nature humaine en imposant un moratoire sur la recherche scientifique. Revendiquant une position « essentialiste », Fukuyama en appelle à un sens moral inné sur lequel s’établissent nos systèmes politiques et juridiques. « Nous ne voulons pas perturber l’unité ni la continuité de la nature humaine, et non plus les droits de l’homme qui en découlent ». Sans stabilité génétique, plus de nature humaine ; sans nature humaine, plus de droits naturels ; sans droits naturels, plus de démocratie ?

 

A l’inverse, les tenants du « transhumanisme » militent pour l’avènement d’un homme nouveau, maître de sa destinée et de ses gènes. Ils pourraient utilement s’inspirer d’un humaniste de la Renaissance, Pic de la Mirandole. En comparant l’homme à un caméléon dans son traité sur la Dignité humaine, Pic de la Mirandole lui donne la responsabilité de se définir lui-même. La nature de l’homme, c’est de n’en pas avoir ; sa dignité, de se construire seul. Voici ce que Dieu dit à l’homme sous la plume de Pic : « Si nous ne t'avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c'est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales ; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines. » Notre vieil humanisme rejoindrait-il ainsi le transhumanisme ?
 
Les questions bioéthiques qui vont s’ouvrir dans les prochaines années sont gigantesques. Pour y répondre, il nous faudra décider si, oui ou non, l’homme peut devenir caméléon…

 

Jean Pic de la Mirandole (1463 - 1494)

Philosophe et théologien humaniste italien, il est connu pour avoir synthétisé dans son œuvre Discours de la dignité de l’homme les doctrines de Platon, d’Aristote et de la foi chrétienne. Il fonde la kabbale chrétienne, pour éclaircir les mystères  du christianisme. En savoir plus.

Francis Fukuyama (né en 1952)

Philosophe, économiste et chercheur en sciences politiques américain. Dans La fin de l’Histoire, il annonce la fin des conflits avec l'avénement universel de la démocratie. Dans La fin de l’Homme, il s’inquiète du transhumanisme, menace pour les systèmes politiques. En savoir plus.

Time To Philo est illustré par Daniel Maja.

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